Doja Cat transforme la pop en expérience virale

Dans un contexte où la musique ne se consomme plus seulement par l’écoute, mais aussi par l’image, le partage et la viralité, Doja Cat incarne la figure de l’artiste 360° : chanteuse, performeuse, communicante. A travers un univers hybride, elle repousse les frontières entre art et communication, au point de faire de chaque sortie musicale un événement médiatique mondial.

Doja Cat est issue d’une famille d’artistes : son père est acteur et danseur, sa grand-mère est peintre comme sa mère qui est également graphiste et sa tante professeure de chant. Elle vécut également un temps aux côtés d’Alice Coltrane, une harpiste américaine et fondatrice du jazz extatique. Cette dernière était à la tête d’un ashram, une communauté hindoue dans les montagnes de Los Angeles. On retrouve l’influence empreinte de mysticisme et de musique transcendante durant ses premières années dans le monde de la musique et notamment sur son premier EP « Purr ! » sorti en 2014. Elle n’avait que 18 ans.

Rarement une artiste aura incarné avec autant d’aisance la fusion entre musique, viralité et image. Depuis ses débuts sur SoundCloud jusqu’à son cinquième album « Vie », Doja Cat a transformé sa carrière en un laboratoire d’expérimentation culturelle. Entre autodérision, marketing provocateur, démonstrations visuelles effrontées et construction d’un univers visuel polymorphe, Amala, de son vrai nom, a prouvé qu’elle n’était pas simplement une pop star.  Mais une communicante hors-pair. Derrière ses sonorités des années 80 et ses clips saturés de couleurs, « Vie » illustre la manière dont la pop contemporaine se réinvente à travers le prisme des réseaux sociaux et du storytelling.

 

 

 

 

Entre expérimentations brutes et culture Internet

 

Avant d’être une référence mainstream, Doja Cat appartenait à la génération des créateurs numériques. En 2013, alors qu’elle n’a que 17 ans, elle publie ses premiers morceaux sur SoundCloud, une plateforme pour les artistes indépendants en quête d’identité.  « So High » est son premier titre marquant : elle y révèle une voix sensuelle et une production planante presque psychédélique, inspirée du R&B alternatif.

A cette époque, elle n’a ni équipe de communication, ni structure : elle crée, enregistre, mixe et illustre elle-même ses titres. Ses premiers visuels sont bricolés, souvent absurdes mais déjà porteurs d’un style singulier : un mélange d’esthétique low-fi, de dérision et d’autofiction numérique.

Sa première « stratégie » repose sur la proximité et la spontanéité. Doja ne cherche pas à se vendre ; elle documente son évolution artistique en public. Cette authenticité brute devient son premier atout. Elle construit une communauté organique avant même de connaitre et comprendre la notion d’algorithme.

Ses inspirations oscillent entre Erykah Badu, Pharrell Williams et Nicki Minaj mais aussi la culture d’Internet avec des mêmes, des vidéos virales, le surréalisme des forums Tumblr ou Deviant Art. Son univers visuel est empreint de de symboles félins, de couleurs saturés et d’humour absurde : tout ce qui caractérise à présent son identité pop.

 

 

Naissance de la star virale

 

Avec « Amala » sorti en 2018, elle entre véritablement dans le circuit mainstream. C’est aussi le projet du décalage : l’album passe d’abord inaperçu avant de connaitre un rebond spectaculaire grâce à un titre en particulier : « Mooo ! », une parodie d’hymne tournée avec webcam où l’on voit Doja déguisée en vache.

Ce clip « home-made » est un cas d’école de communication digitale parce qu’il incarne la culture du « meme marketing » avant l’heure. « Mooo ! » illustre comment une artiste peut transformer un non-évènement en phénomène viral.

Plutôt que de corriger l’image non-sérieuse à laquelle cette vidéo renvoie, Doja Cat la revendique en s’auto-parodiant, en détournant les critiques et en s’appropriant le récit. Cette maîtrise du second degré forge sa réputation de génie du chaos numérique.

L’album « Hot Pink » est plus construit et plus produit mais conserve tout de même l’esprit exubérant de ses débuts. Le single « Say So » appuyé par la chorégraphie créée par une fan, devient un phénomène TikTok mondial prouvant l’habilité qu’a Doja Cat à intégrer sa communauté dans son dispositif médiatique.

« Hot Pink » marque l’entrée dans une communication plus travaillée : TikTok devient plus qu’un outil promotionnel il est également un outil narratif. L’interaction fan-artiste est également mis en avant avec le fait que Doja Cat soit particulièrement réactive avec son public. Elle n’hésite pas à reprendre les trends, a commenté les memes à son sujet et créé ainsi une relation de complicité.  C’est à cette même période qu’elle développe une stratégie multi-identitaire : chaque clip, chaque performance représente une version d’elle-même. Elle s’autorise la contradiction, un atout majeur dans un écosystème saturé où la surprise est devenue la clé pour obtenir de l’attention.

 

 

 

 

L’univers étendu

En 2021, Planet Her, consolide son statut de popstar planétaire. L’album est un concept visuel et sonore d’une planète imaginaire, miroir du féminin pluriel. Les influences de cet album sont un mélange de ce que l’on pourrait appeler du R&B futuriste et de la pop cosmique impacté certainement par des artistes comme FKA Twigs, Björk ou Grimes mais filtré à travers une sensibilité pop mainstream. Ce projet est littéralement un chef-d’œuvre de branding narratif : chaque clip, chaque tenue, chaque performance s’inscrivent dans le même univers visuel de science-fiction mêlée à de la sensualité divine.

La campagne de l’album « Planet Her » repose sur une logique transmédia où un même univers se déploie sur plusieurs support (clips, réseaux sociaux, visuels, performances) chacun apportant une dimension différente au récit global : Instagram sert de vitrine visuelle immersive, TikTok diffuse les micro-moments viraux et YouTube les clips qui développent la narration principale.

Tout est pensé comme une expérience multi-canal, où l’auditeur.ice devient explorateur.ice de ce monde « parallèle ».

Pour finir, cet album est celui de la reconnaissance institutionnelle par sa nomination aux Grammys Awards et ses collaboration avec SZA, Young Thug ou encore The Weeknd montrant ainsi que la viralité et la légitimité artistique ne sont plus vraiment opposées.

 

 

Discographie de Doja Cat

 

 

Provocation, introspection et contrôle absolu

 

Avec « Scarlet » (2023), Doja Cat prend un virage brutal. La douceur pastel est remplacée par une esthétique gothique et dérangeante dominée par le rouge et la symbolique du sang. Le projet est conçu comme une rupture avec la pop sucrée : elle s’y réinvente en rappeuse et en critique du système qui l’a portée.

La communication devient alors une performance : Doja Cat apparait intégralement peinte en rouge sur les tapis rouge, ses visuels adoptent un univers visuel à la frontière du sacré et du profane et elle adopte un discours anti-industrie assumé.

C’est une période de confrontation : Doja teste la fidélité de son public et se moque des attentes médiatiques.  « Scarlet » est moins un album qu’un acte de rébellion marketing, un moment où l’artiste affirme son autonomie face à son image de produit.

Deux ans plus tard « Vie apparaît comme une renaissance : il est plus lumineux, plus groovy mais toujours conceptuel. L’album célèbre la transformation. Là où Scarlet déconstruisait la star, « Vie » la reconstruit avec une maitrise technique et visuelle totale.

La campagne autour de « Vie » témoigne d’une maturité stratégique rare. Là où ses précédents projets s’appuyaient sur la viralité spontanée, Doja Cat en devient désormais l’architecte consciente. Chaque élément du dispositif a été pensé pour créer une boucle d’engagement complète : la Vie Hotline joue sur la nostalgie analogique, les visuels saturés évoquent l’âge d’or des clips MTV et les teasings fragmentés sur TikTok et Instagram nourrissent une attente continue.

Ce n’est plus une réaction à l’algorithme mais une mise en scène de la viralité elle-même. En orchestrant chaque apparition, Doja Cat transforme la communication en art narratif.

La constante de Doja Cat n’est donc pas son style musical mais sa stratégie narrative fondée sur la métamorphose. Elle incarne la pop à l’ère de l’interactivité. Un espace où l’artiste, la marque et la communauté fusionnent. Elle est à la fois le produit et la productrice de son image son sujet et commentatrice de sa propre légende. Son parcours offre un exemple parfait pour les professionnelles de la communication, de stratégie d’image auto-pilotée en faisant de la transformation sa signature.

 

 

L’ascension de Doja Cat illustre la manière dont un.e artiste peut fusionner musique, image et stratégie digitale pour façonner une marque culturelle totale.

Mais cette maitrise soulève aussi ses paradoxes. A force de jouer avec la provocation, Doja Cat brouille parfois la frontière entre authenticité et mise en scène. Son rapport direct voire conflictuel avec sa communauté, qu’elle n’hésite pas à critiquer ou provoquer, divise autant qu’il fascine. Certaines campagnes, jugées excessives ou égocentriques, interrogent la limite entre performance artistique et stratégie d’attention.

De plus sa volonté de tout contrôler, jusqu’à sa propre caricature, peut donner l’impression d’un art hypercalculé où la spontanéité se dissout dans le marketing. Mais cette lucidité parfois extrême sur les codes numériques finit parfois par enfermer son œuvre dans le spectacle de sa propre image.

Pour les étudiant.e.s de l’ECITV, Doja Cat montre une étude précieuse par son parcours : celui d’une artiste qui met en lumière les forces et les dérives d’une ère où le succès ne se mesure plus seulement à son talent mais à la capacité d’orchestrer sa présence dans le flux constant du numérique.